Évolution: de surprises en surprises

1. Un peu de philosophie des sciences

Dans The Structure of Scientific Revolutions, Thomas S. Kuhn décrit sa théorie selon laquelle la science fonctionne avec des paradigmes : lorsqu'une théorie scientifique est consolidée par de multiples observations, elle est acceptée par la majorité du monde scientifque ; elle est utilisée pour développer les méthodes de recherches, ainsi que le matériel d'expérimentation ; elle est utilisée pour décider des nouveaux axes de recherches ; et évidemment, les nouvelles observations sont interprétées selon son cadre.
Kuhn explique que lors des révolutions scientifiques, il y a changement de paradigme — et il est loin d'être évident de bousculer tout le corps scientifique ainsi. La première étape, c'est qu'il faut que la théorie courante soit en crise. Des anomalies répétées, des observations en nombre que la théorie ne prévoyait pas. Une théorie qui s'adapte et se complexifie à outrance. Il donne pour exemple les épicycles de la théorie de Ptolémée, devenues un véritable scandale, mais pouvant résister malgré tout aux changements proposés par Copernic.
Let us then assume that crises are a necessary precondition for the emergence of novel theories and ask next how scientists respond to their existence. Part of the answer, as obvious as it is important, can be discovered by noting first what scientists never do when confronted by even severe and prolonged anomalies. Though they may begin to lose faith and then to consider alternatives, they do not renounce the paradigm that has led them into crisis. They do not, that is, treat anomalies as counter-instances, though in the vocabulary of philosophy of science that is what they are.
The Structure of Scientific Revolutions, Thomas S. Kuhn (Chapt. 8)
Quelle est donc la réaction des scientifiques lorsque les anomalies se multiplient ? Éventuellement, ils cherchent des théories alternatives. Mais ils n'abandonnent pas aussitôt le paradigme existant ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas en changer sans avoir une alternative solide.
These hint what our later examination of paradigm rejection will disclose more fully: once it has achieved the status of paradigm, a scientific theory is declared invalid only if an alternate candidate is available to take its place. No process yet disclosed by the historical study of scientific development at all resembles the methodological stereotype of falsification by direct comparison with nature. That remark does not mean that scientists do not reject scientific theories, or that experience and experiment are not essential to the process in which they do so. But it does mean—what will ultimately be a central point—that the act of judgment that leads scientists to reject a previously accepted theory is always based upon more than a comparison of that theory with the world. The decision to reject one paradigm is always simultaneously the decision to accept another, and the judgment leading to that decision involves the comparison of both paradigms with nature and with each other.
The Structure of Scientific Revolutions, Thomas S. Kuhn (Chapt. 8)
Voilà l'idée importante : ce n'est pas parce qu'il y a des observations qui contredisent la théorie (ou le paradigme), et qui donc la réfuteraient entièrement selon Popper, que la théorie est rejetée en pratique. La théorie ne doit pas absolument être en adéquation avec l'observation du monde : elle doit simplement mieux l'expliquer que les autres théories à disposition.
La crise n'est pas encore tout-à-fait évidente à ce niveau. La théorie commence par s'adapter :
By themselves [the anomalies] cannot and will not falsify that philosophical theory, for its defenders will do what we have already seen scientists doing when confronted by anomaly. They will devise numerous articulations and ad hoc modifications of their theory in order to eliminate any apparent conflict.
The Structure of Scientific Revolutions, Thomas S. Kuhn (Chapt. 8)
C'est ce que Kuhn fait remarquer en reprenant les différentes crises scientifiques de l'histoire.

2. Coup d'œil sur l'actualité scientifique

Lorsque vous lisez les informations concernant notre compréhension actuelle du monde vivant, reposant sur le paradigme de l'évolution, ne remarquez-vous pas un certain motif qui se répète ?
Description de l'image Sea walnut, Boston Aquarium.jpg.
Par Steven G. JohnsonTravail personnel, CC BY-SA 3.0, Lien
Florilège :
"The inner workings of a supposedly simple bacterial cell have turned out to be much more sophisticated than expected."
‘Simple’ bacterium shows surprising complexity, New Scientist, 26 novembre 2009
Logiquement, les bactéries ne sont pas des êtres complexes : elles sont à la base de l'arbre de l'évolution. Et pourtant, elles sont dotées d'un appareillage sophistiqué !
"The appendix may not be useless after all. The worm-shaped structure found near the junction of the small and large intestines evolved 32 times among mammals, according to a new study. The finding adds weight to the idea that the appendix helps protect our beneficial gut bacteria when a serious infection strikes."
L'appendice était supposé être un organe vestige de notre évolution d'herbivores vers des carnivores. Mais on lui a trouvé récemment une utilité.
De plus, il est surprenant qu'il ait évolué 32 fois de façon indépendante.
"Scientists have discovered a second code hiding within DNA. This second code contains information that changes how scientists read the instructions contained in DNA and interpret mutations to make sense of health and disease."
L'ADN contient un code génétique. C'est déjà plutôt pas mal pour le fait du hasard. Mais non, en fait il y a deux codes imbriqués, l'un décidant de l'interprétation de l'autre !
"Amoebas are puny, stupid blobs, so scientists were surprised to learn that they contain 200 times more DNA than Einstein did. ...
Late last year, the animal evolutionary tree quaked at its root. A team led by Joseph Ryan, ... analyzed the genome from a comb jelly,  Mnemiopsis leidyia complex marine predator with muscles, nerves, a rudimentary brain, and bioluminescence, and found that the animals may have originated before simple sponges, which lack all of those features."
 — Evolution, You’re Drunk, Nautilus, 30 Janvier 2014
C'était déjà surprenant pour les bactéries, c'est toujours une surprise pour une espèce de macroplancton...le monde vivant est toujours plus complexe qu'on ne l'imagine.
"The Devil’s Hole pupfish – claimed to be the rarest fish known – isn’t what we thought.
This pupfish, Cyprinodon diabolis, lives in a single pool in the middle of Death Valley, the hottest place on Earth. We had assumed it had been clinging to isolated existence at that site since the glaciers receded and the valley dried up 10,000 years ago. But its genes tell a different story."
On croit qu'une espèce est isolée... mais en étudiant ses gènes on réalise qu'elle a été en contact avec des espèces voisines... mais pour des poissons c'est loin d'être évident de rentrer en contact ! Il y a des phénomènes que l'on a du mal à observer directement.
"In primates such as humans, living in cooperative societies usually means having bigger brains — with brainpower needed to navigate complex social situations.
But surprisingly, in birds the opposite may be true. Group-living woodpecker species have been found to have smaller brains than solitary ones."
La vie en société fait-elle grossir ou réduit-elle la taille du cerveau ? Les deux arrivent, et on trouve toujours de nouvelles explications.
"When the bacteria found on the walls of Lechuguilla were analyzed, many of the microbes were determined not only to have resistance to natural antibiotics like penicillin, but also to synthetic antibiotics that did not exist on earth until the second half of the twentieth century. As infectious disease specialist Brad Spellberg put it in the New England Journal of Medicine, “These results underscore a critical reality: antibiotic resistance already exists, widely disseminated in nature, to drugs we have not yet invented.”
L'information génétique est là au départ — ici la résistance aux antibiotiques —, on le dit rarement mais visiblement c'est connu. Il n'y a que transmission et sélection. Mais alors, d'où vient l'information ?

3. Conclusions

Je crois que la théorie de l'évolution est en crise, mais probablement pas encore assez pour que les scientifiques cherchent sérieusement de nouvelles théories — qui doivent être révolutionnaires, de facto.

Une théorie possible, évidemment, c'est la Création. Mais pour aller plus loin que Kuhn, il faut voir qu'il n'y a pas que l'adéquation avec les observations qui entre en jeu dans le choix d'une théorie : c'est une véritable question philosophique ! Dans sa quête scientifique, l'homme fait le choix de ne pas utiliser "l'hypothèse Dieu". La Création n'est donc pas une alternative admissible dans ce cadre.

Ainsi, pour accepter la "théorie de la Création", il ne faut pas simplement reconnaître sa validité scientifique. Il ne faut pas seulement croire en Dieu, ni croire à la Bible. Il faut reconnaître qu'il y a une quête supérieure à la quête "scientifique" : la quête de la vérité. Dans cette quête, la Bible est plus absolue que la science. Elle est une autorité supérieure. Dieu n'est pas "une hypothèse". Il est une source d'information, il nous instruit, il nous oriente.
Que personne ne vous séduise d'aucune manière ; car il faut que l'apostasie soit arrivée auparavant, et qu'on ait vu paraître l'homme du péché, le fils de la perdition, l'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu ou de ce qu'on adore, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu...
Et alors paraîtra l'impie, que le Seigneur Jésus détruira par le souffle de sa bouche, et qu'il anéantira par l'éclat de son avènement. L'apparition de cet impie se fera, par la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers, et avec toutes les séductions de l'iniquité pour ceux qui périssent parce qu'ils n'ont pas reçu l'amour de la vérité pour être sauvés.
Aussi Dieu leur envoie une puissance d'égarement, pour qu'ils croient au mensonge, afin que tous ceux qui n'ont pas cru à la vérité, mais qui ont pris plaisir à l'injustice, soient condamnés.
... Ainsi donc, frères, demeurez fermes, et retenez les instructions que vous avez reçues, soit par notre parole, soit par notre lettre.
2 Thessaloniciens 2:3-4,8-12,15

Commentaires

Marie a dit…
Excellent article (as usual...), j'étais particulièrement contente de lire certains extraits du "florilège" que je ne connaissais pas !
Et le nouveau look de ton blog est très sympa !
Amy a dit…
Merci ! Je collectais les articles depuis quelques temps, et j'en ai ajouté quelques uns plus récents. Je suis sûre que j'aurais pu en avoir beaucoup plus si je suivais de plus près l'actualité scientifique.

Contente que tu apprécies le relooking. J'espère que le contraste inverse ne piquera pas trop les yeux.

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